Molière. Le bourgeois gentilhomme.Acte I, scène 5. MONSIEUR JOURDAIN Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour ; mais je voudrais que ce fût mis d'une manière galante, que cela fût tourné gentiment. MAITRE DE PHILOSOPHIE Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre coeur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un... MONSIEUR JOURDAIN Non, non, non, je ne veux point de tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. MAITRE DE PHILOSOPHIE Il faut bien étendre un peu la chose. MONSIEUR JOURDAIN Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles là dans le billet ; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on peut les mettre. MAITRE DE PHILOSOPHIE On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien : D'amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux d'amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d'amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d'amour. MONSIEUR JOURDAIN Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ? MAITRE DE PHILOSOPHIE Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.
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